Le Forum social mondial FSM bat son plein depuis 5 jours maintenant. Notre expérience ici est riche et extrêmement stimulante, malgré les difficultés organisationnelles. Tel que rapporté par Rue Frontenac, le forum a débuté dans un véritable chaos. La localisation des ateliers a été dévoilée deux jours à l'avance sur le site internet du Forum social mondial (FSM), et seulement tard dans la journée du 7 février, première journée d'ateliers. Les participants qui cherchaient les lieux des ateliers se sont graduellement rendus compte que là où chacun se précipitait pour partager leurs désirs de transformation sociale, se poursuivait la cadence habituelle de la vie universitaire.
Certains ont trouvé cela éprouvant, ils sont déçus de n'avoir pas eu telle discussion, de ne pas avoir rencontré telle personne. Et, en effet, les gens viennent de loin et consacrent beaucoup de ressources pour participer au forum.
Mais plusieurs autres ont assez facilement composé avec le chaos. Il a fallu s'adapter et aller à la rencontre des gens, parler aux milliers de personnes que l'on croise pour leur demander qui elles sont, ce qu'elles font et si elles ne voudraient pas parler avec nous de tel ou tel sujet. En quelque sorte, malgré quelques déceptions et un peu d'énergie dissipée, ce chaos est rafraichissant et a enrichi notre expérience à Dakar. Nous avons su nous adapter au rythme qui prévaut ici.
Pendant ce FSM, nous avons profité d'une occasion sans pareille d'aller à la rencontre du peuple sénégalais et d'en savoir plus sur leurs luttes. Pour la majorité d'entre nous, il s'agissait aussi d'un premier contact avec l'Afrique et le FSM nous permis d'accéder à un condensé de la réalité africaine.
La réalité des femmes et les violences dont elles sont victimes en est un exemple. En se promenant parmi les kiosques du forum, nous avons rencontré une association qui lutte contre l'excision des jeunes filles. Une des femmes a même illustré une scène avec des poupées qu'elle a confectionnées. Cette image était troublante. Une autre association tente d'améliorer les conditions dans les écoles car plusieurs jeunes filles y sont victimes d'agressions, souvent dans des toilettes mixtes. Plusieurs autres femmes s'impliquent pour que cessent les investissements militaires et nucléaires, elles militent pour la paix, notamment dans la région de Casamance.
Dans l'atelier sur le renforcement du pouvoir des femmes par l'économie sociale auquel nous participions, nous avons pu entendre les témoignages de femmes dont l'implication dans des organisations d'économie sociale permet de rompre avec les coutumes, de nouer des relations avec d'autres femmes et de gagner une plus grande autonomie dans la société. Elles accèdent à l'information, plusieurs apprennent à lire et écrire, à devenir des leaders. Bien sûr, il y a plusieurs défis à relever. Pas moins de 90% des femmes travaillent dans le secteur informel et l'inévitable financement des initiatives s'accompagne de taux d'intérêts très élevés. Elles demandent de l'accompagnement et l'accès à de la finance réellement solidaire. Mais il était très encourageant de rencontrer la relève féministe un peu partout, avec de jeunes femmes qui prennent leur place dans les discussions.
Nous avons rencontré Cheick, un jeune homme qui, après avoir vu son père décéder après cinq années de souffrance, s'est embarqué dans une pirogue avec 100 personnes pour se rendre en Espagne, dans l'espoir d'y gagner l'argent nécessaire afin de subvenir aux besoins de sa famille. La traversée fut épouvantable, des gens mouraient de faim, et il fallait jeter les corps à la mer. Et l'on pleurait, car on pouvait connaître le même sort, demain ou dans quelques jours. Après 10 jours en mer, l'équipée a été secourue par la Croix-Rouge et amenée en Espagne. Mais le gouvernement sénégalais les a réclamés et ils n'ont eu d'autres choix que de rentrer, plus pauvres qu'ils ne l'étaient au départ. Le gouvernement espagnol s'était engagé à rembourser les frais de leur voyage et a remis un chèque à leur gouvernement, mais ils n'ont jamais reçu cet argent. Aujourd'hui, Cheick et 150 autres personnes ont formé une association pour tenter de convaincre les jeunes de se battre pour faire changer les choses ici, au Sénégal, plutôt que de s'embarquer dans une pirogue.
Nous avons été sensibilisés à plusieurs autres enjeux par nos camarades africains dont l'abolition de la dette du tiers-monde et la proposition de faire des audits pour déterminer ce qui relève de la corruption et des détournements de fonds afin de les soustraire de la dette. Mentionnons aussi la faible participation politique de la population, l'accaparement des terres et la non-reconnaissance de la propriété qui sont autant d'obstacles à la souveraineté alimentaire.
Nous avions inscrit un atelier dans la programmation du FSM : la Charte de Genève pour la défense des services publics. Chaos obligeant, nous avons partagé la tente syndicale avec nos camarades de la CFDT et présenté nos ateliers successivement. Notre objectif était de faire connaître cette campagne qui a été lancée au mois d'octobre dernier, alors que nos camarades de France faisaient la grève sur l'enjeu des retraites. Nous avons constaté qu'il reste beaucoup de travail à accomplir, ne serait-ce que pour bien comprendre les différentes réalités nationales. Par exemple, dans certains pays du Sud, les syndicalistes sont plutôt favorables aux partenariats publics-privés car c'est une façon d'impliquer l'État qui, pour l'instant, laisse toute la place aux entreprises.
La nécessité de développer les services publics dans un pays comme le Sénégal est frappante, particulièrement en ce qui a trait à la question du droit à l'éducation, sur laquelle convergent les étudiants et les syndicats. Plusieurs enfants n'ont pas accès à l'éducation puisqu'il n'y a pas d'écoles dans leur village. À l'université, plusieurs jeunes ne peuvent s'inscrire, faute de places disponibles. Plusieurs d'entre eux réussissent à s'instruire en assistant aux cours mais ne reçoivent aucun diplôme. Quelques dizaines d'entre eux sont venus porter ce message à l'assemblée des mouvements sociaux. Ils y ont dit être prêts à entreprendre une grève de la faim de 72 heures et ont annoncé devant l'assemblée qu'ils avaient l'intention de s'immoler par le feu s'ils n'obtenaient pas la satisfaction de leurs revendications. Cela nous a plongé dans un profond malaise.
L'atelier de la CFDT sur la responsabilité sociale des entreprises nous a permis de rencontrer un militant congolais qui lutte contre une entreprise minière canadienne qui fait des ravages dans son pays. C'est lui qui a expliqué à l'assistance que les auteurs du livre Noir Canada faisaient l'objet de poursuites-bâillon ! Nous resterons en contact avec lui et ferons les ponts avec les groupes qui luttent sur ces enjeux, notamment le réseau d'action qui désormais, grâce à ce FSM, rejoint presque tous les continents.
Concernant la campagne BDS, mentionnons la participation de personnes de plusieurs pays africains et en ce sens la campagne se mondialise de plus en plus. Les militants prévoient organiser un forum thématique sur la Palestine en 2012 afin de contribuer à cette campagne.
Chaque FSM accueille aussi un Forum syndical, organisé par la CSI et l'organisation syndicale régionale. L'édition de cette année, plutôt brève, s'est déroulée sous le thème « le FSM face aux multiples crises ». Rompant avec le modèle plus formel auquel nous étions habitués, cette rencontre a été l'occasion pour le mouvement syndical de s'exprimer sur la pertinence pour celui-ci de participer aux forums sociaux. Non sans nuances quant aux raisons ou aux suggestions apportées, les intervenants (aucune femme n'a parlé au nom de sa centrale) ont insisté sur la nécessité de participer au FSM et de proposer des approches afin de maximiser les retombées potentielles pour les organisations syndicales, mais aussi pour construire cet autre monde possible avec les autres mouvements sociaux. Comme l'a dit Louis Roy à la fin de son intervention, nous avons créé la CSI pour être ensemble, pas pour s'isoler des autres mouvements. Nous avons aussi eu l'occasion d'entendre le représentant de l'UGTT (Tunisie), pour qui une Tunisie meilleure est maintenant possible après 23 ans de dictature. Dès le départ, il a tenu à préciser que le mouvement syndical n'a pas été l'initiateur de la protestation, mais qu'il a répondu à l'appel des jeunes chômeurs et étudiants, en les accompagnant, notamment par des grèves dans plusieurs régions et en leur fournissant des locaux pour s'organiser. Une alliance s'est formée autour d'eux avec toutes les forces de la société civile : femmes, jeunes diplômés, avocats, défenseurs de droits humains, etc. Avec humilité, il a appelé le mouvement syndical à élargir son action auprès de la jeunesse et à renouer avec ses origines de lutte car il n'y a pas d'équilibre possible sous le néolibéralisme.
La délégation de la CSN
Louis Roy, vice-président de la CSN
Daniel Tessier, Conseil central de Lanaudière (CSN) ;
Marjolaine Côté, Fédération des employé-es de services publics - CSN ;
Dominique Daigneault, Gaétan Châteauneuf et Lisa Courtemanche, Conseil central du Montréal métropolitain - CSN ;
Micheline Thibodeau, Fédération nationale des enseignantes et des enseignants du Québec - CSN ;
Nathalie Guay, conseillère syndicale, Service de la recherche, CSN.
Chloé Germain-Thérien et Nesrine Bessaih, cinéastes